La vie de Louis Fronsac, notaire au Châtelet, puis chevalier de Saint-Michel, marquis de Vivonne et enfin chevalier de Saint-Louis nous est surtout connue par le court récit qu’en a fait sa belle-fille, Aurore La Forêt, publié à La Haye en 1709. Nous en avons reproduit la première page et nous nous sommes permis d’en rendre le texte plus accessible en utilisant un français plus contemporain.

Ce livre a vraisemblablement été écrit après les dramatiques évènements de 1706 qui ont fait l’objet, de notre part, d’un récit romancé[1]. Il contient des révélations tellement incroyables sur le roi et la Cour que la plupart des exemplaires entrés en France furent saisis par la police de monsieur d’Argenson[2] et détruits. Il s’agissait sans doute pour madame Fronsac et son époux Pierre, le fils de Louis Fronsac, d’une protection supplémentaire contre les agissements de Michel de Chamillart malgré les promesses faites par le roi à son cousin, Philippe d’Orléans. Peut-être même s’agissait-il d’une protection contre Philippe d’Orléans lui-même car, si Aurore La Forêt ne traite que de façon allusive de l’identité du masque de fer, la famille royale ne pouvait douter qu’elle connaissait le dernier secret de Richelieu.

Ce rare et précieux document – il n’en subsiste à ma connaissance que deux exemplaires ! – nous a bien sûr servi pour écrire les aventures romancées de Louis Fronsac. Nous avons cependant aussi utilisé les mémoires manuscrits et divers courriers qu’Aurore La Forêt avait pieusement conservés. Ces documents peuvent être consultés aux Archives nationales (Ancien régime, ville de Paris sous la cote KX titre XVII (KX 12221 à 123367).

Avec tous ces textes, l’importance du rôle de Louis Fronsac sous les règnes de Louis XIII et Louis XIV commence enfin à être reconnue par les historiens. Nous nous en réjouissons. On consultera ainsi avec bonheur la thèse récente de l’école des Chartes : Louis Fronsac, un logicien au service de la justice, 1997.

 

 

Jean d’Aillon


[1] Le captif au masque de Fer , à paraître.

[2] Le marquis Marc René d'Argenson, qui avait succédé à La Reynie en janvier 1697.

Louis Fronsac naquit à Paris en 1613, dans une ancienne ferme fortifiée de la rue des Quatre-Fils. Son père, Pierre Fronsac, notaire au Châtelet et ancien échevin de la ville, lui donna une éducation conforme à l’état auquel il le destinait en l’inscrivant au collège de Clermont, fameux établissement parisien tenu par les Jésuites. Clermont était réservé à l'aristocratie et à la haute bourgeoisie car l'enseignement et la pension y étaient fort coûteux malgré des conditions d’étude effroyablement dures. Dans ce collège, les élèves levés à quatre heures le matin travaillaient jusqu'à huit heures du soir le latin, le grec, l’italien, la philosophie, le droit et les mathématiques avec une messe pour seule et unique distraction. La nourriture y était médiocre et parcimonieuse, le chauffage insignifiant et les maîtres féroces utilisaient surtout le fouet pour faire entrer la connaissance dans la tête de leurs élèves.

Il y avait alors dans ce collège un enfant orphelin envoyé là par son tuteur et grand-oncle, le prieur de l'abbaye de Coulombs. Cet élève, promis à la prêtrise, chacun jugeait qu’il ferait un bien mauvais religieux avec son caractère agressif et sa franchise brutale. Il se nommait Gaston de Tilly et ses parents étaient morts en 1617 alors qu’ils se rendaient chez le duc de Sully au sujet d’une grave affaire criminelle ; le père de Gaston étant prévôt.

Au collège de Clermont, Gaston et Louis, rejetés par les élèves plus riches ou plus titrés qu’eux, avaient sympathisé. Louis aimait trop les mathématiques pour se lier aux enfants des gens de loi et Gaston, cadet de famille peu fortunée, était mis à l'écart par ses camarades aristocrates plus riches que lui.

Leurs études terminées, Louis était devenu notaire assermenté au Châtelet de Paris et Gaston devait prononcer ses vœux, ce qu’il refusa. Contre l’avis de son tuteur mais avec l’accord de son oncle, il décida d’intégrer l'armée dans laquelle, par sa naissance, il pouvait espérer devenir sous-officier. Seulement, sans argent pour acheter une charge ou un régiment, il resterait ensuite à son grade toute sa vie sauf à devenir mercenaire.

Avec l’appui d’échevins amis, le père de Louis avait alors proposé à Isaac de Laffemas le jeune Gaston comme candidat à un poste d’enquêteur auprès d’un commissaire au Grand-Châtelet.

Isaac de Laffemas, lieutenant civil nommé par le cardinal de Richelieu pour rétablir la sûreté dans Paris examinait lui-même tous les candidats à des charges de police. Il avait accepté Gaston après s’être entretenu avec lui et avoir été impressionné autant par ses connaissances de juriste que par son caractère tenace et coriace. Des qualités qu’il demandait justement à ses hommes.

Ces dures années d’école et le soutien sans faille du père de Louis avaient forgé une solide amitié entre les deux jeunes hommes, amitié qui ne devait jamais fléchir.

À Clermont, Louis Fronsac avait travaillé le droit par nécessité mais son inclination naturelle le portait vers les mathématiques. Il avait eu pour maître un élève de Philippe Lansbergius, un mathématicien allemand défenseur de Copernic et de Galilée. Ce maître, un des rares qui n'utilisait pas les étrivières et la discipline, lui avait fait aimer la logique et lui avait fait prendre conscience d’une aptitude singulière qu'il maîtrisait admirablement. Il avait une étrange capacité à trouver intuitivement les justes solutions des problèmes qui se présentaient à lui s’il disposait des correctes prémisses. Il était ainsi capable d’assembler et de classer en de claires évidences des faits ou des observations si ténus qu’ils n’auraient jamais attiré l’attention du commun des mortels.

Voici ce que lui avait déclaré quelques années plus tard son ami Blaise Pascal au sujet de son incroyable talent :

“ La providence vous a fait un cadeau dont elle est économe, monsieur. Vous avez un esprit fin, capable de voir ce qui échappe à d’autres, et en même temps un esprit de géomètre qui vous permet de raisonner fort justement. C’est très peu courant ; j’ai observé que souvent les géomètres ont une mauvaise vue et les esprits fins sont incapables de plier leur vue vers les principes de géométrie. ”

Ce don était associé à un certain goût du risque et de l’aventure qu’il tenait sans doute de son grand-père. Celui-ci, le père de madame Fronsac, ne ressemblait guère à son gendre. Autant Pierre Fronsac était éternellement inquiet et timoré, autant ce grand-père maternel, était audacieux et astucieux. Il racontait parfois à son petit-fils – en les enjolivant – les aventures qu’il avait vécues à la fin du siècle précédent au côté d’un provençal valeureux, Yohan de Vernègues. Ils œuvraient alors tous deux pour permettre l’arrivée d’Henry le quatrième à Paris alors que la Ligue avait pris le pouvoir.

Le jeune Louis ne se lassait jamais de ces récits héroïques dignes de Chrétien de Troyes et, secrètement, il se promettait lui aussi de connaître d’aussi palpitantes aventures.

Mais à la sortie du collège, c’est l’austère vie d’un notaire du Châtelet qui l’attendait.

A cette époque, les tabellions devaient parfois procéder à de longues et pénibles recherches pour ceux qui venaient les consulter afin de rédiger des actes. Pour ce faire, ils utilisaient des commis ou des délégués qu'ils rémunéraient à la tâche. Mais ces gens-là étaient rarement scrupuleux et manquaient généralement de compétence. Un jour, lassé des erreurs et des maladresses commises par leur agent habituel, Louis avait proposé à son père de procéder lui-même à certaines investigations. Comme notaire, avait-il assuré à son père, le premier clerc Jean Bailleul pouvait parfaitement le remplacer. Et comme enquêteur, il était certain d'être plus efficace que les louches individus qu'ils utilisaient.

Pierre Fronsac avait été fort contrarié et violemment opposé à une si scandaleuse proposition qui n’était pas digne de leur rang. Mais, Louis n'en avait pas démordu et, finalement, son père avait dû céder, au moins à titre d’expérience.

Il n’avait pas eu à le regretter. Avec son fils pour agent, l'étude avait rapidement obtenu une considérable notoriété pour traiter et débrouiller les affaires complexes ou très délicates. Rapidement, des Grands lui confièrent leurs dossiers difficiles ou embarrassants. Non seulement Louis Fronsac utilisait son talent de déduction pour clarifier les problèmes les plus embrouillés qu’on lui présentait mais il était discret et ne portait aucun jugement de valeur. Qu’il s’agisse de difficultés financières, adultérines, ou pire, il trouvait toujours une solution et parvenait à rédiger les actes juridiques adéquats.

Cinq années après que Louis Fronsac ait choisi de se charger lui-même des tâches d'investigation de l’étude, sa réputation de finesse d’esprit et d’intégrité était devenue telle que le Parlement et les principales institutions de justice faisaient désormais régulièrement appel à lui.

C’est à l’occasion d’un de ces travaux, en l’occurrence un inventaire des biens du duc de Vendôme, qu’il avait été mêlé à une étrange affaire[1].

Le duc de Vendôme était, rappelons-le, le demi-frère du roi Louis XIII. Bâtard par sa mère, Gabrielle d’Estrée, il restait persuadé de ses droits légitimes à la couronne de France et il avait conduit plusieurs complots visant à renverser le roi. En mars 1642, alors qu’il était poursuivi par la justice, ses biens avaient été saisis mais plusieurs ouvrages de grande valeur avaient disparu de sa bibliothèque. Pour les récupérer, Louis avait dû demander à son ami Gaston de l’aider à faire avouer celui qu’il suspectait du vol.

Gaston s’occupait, à ce moment-là, de l’assassinat incompréhensible d’un domestique de la marquise de Rambouillet, une grande dame de la Cour dont Louis fréquentait le salon littéraire. Tout naturellement, puisque Gaston lui portait assistance, lui-même avait accepté d’aider son ami en le présentant à la marquise.

C’est que Louis Fronsac ne passait pas tout son temps sur les affaires juridiques de l’étude. Comme beaucoup de jeunes gens de cette époque, il fréquentait des salons et principalement le plus brillant, celui d’Arthénice, la Chambre Bleue de la marquise de Rambouillet.

C’était un client de l’étude notariale qui l’avait introduit dans ce milieu. Vincent Voiture était le poète le plus réputé de la Cour et, lors de visites à l’étude des Fronsac, il avait sympathisé avec Louis. Découvrant avec intérêt la bibliothèque de livres rares du jeune notaire, il lui avait proposé de l’emmener à une réception dans la Chambre Bleue.

L’intelligence et la culture de Louis avaient séduit la marquise et le jeune Fronsac était devenu un habitué apprécié du salon.

Interrogé par Gaston de Tilly, la marquise de Rambouillet avait assuré ne rien savoir au sujet de l’assassinat de son domestique, mais Louis devait vite percer la vérité : l’un des livres disparus du duc de Vendôme avait bien été volé, puis revendu, et enfin offert à la marquise ! Or ce livre contenait un secret : dans la reliure se trouvait une lettre qui pouvait changer le cours de l’histoire de France.

Monsieur Fronsac découvrit cette lettre grâce à l’aide de la nièce de la marquise, Julie de Vivonne. Mais du jour où certains intrigants surent qu’il la possédait, sa vie devint un enfer. Pour la lui reprendre, on tenta de l’assassiner et on l’emprisonna. Il se heurta violemment au cardinal de Richelieu, au duc de Vendôme, au Grand Ecuyer – le marquis d’Effiat – et surtout à un être maléfique, le marquis de Fontrailles, qui rêvait de devenir le Cromwell français en renversant la royauté pour construire à sa place une république dont il aurait été le premier consul.

C’est ainsi que le jeune Fronsac fut mêlé à la conspiration de Cinq-Mars. Il dut son salut à la protection de Giulio Mazarini, un prélat italien tortueux qui était au service du cardinal de Richelieu et qui fréquentait aussi la Chambre bleue sous le surnom de Colmarduccio.

La conspiration déjouée, grâce à Louis, Mazarin parvint par une diabolique manœuvre à faire se réconcilier le roi et la reine. Sa Majesté récompensa le prélat devenu cardinal en lui demandant d’être le parrain de son jeune fils, et Louis Fronsac en le faisant chevalier de Saint-Michel et en lui offrant une seigneurie royale abandonnée, Mercy, située non loin de l’abbaye de Royaumont.

Peu de temps après, le cardinal de Richelieu trépassa et chacun en France s’interrogea alors pour savoir qui deviendrait le nouveau favori du roi et le chef de son conseil.

Louis Fronsac ne s’y intéressait guère. Anobli, il pourrait désormais épouser Julie de Vivonne et cela suffisait à son bonheur. En attendant, il vivait toujours à Paris dans son petit logement, espérant qu’un jour la fortune frapperait à sa porte.

Gaston de Tilly venait alors de recevoir la charge de commissaire à poste fixe du quartier de Saint-Germain-l’Auxerrois et sa première enquête s’avérait insensée : un commissaire de police avait été assassiné dans une chambre close !

Ne sachant que faire pour résoudre cet invraisemblable mystère, il avait encore fait appel à son ami.

Gaston était très différent de Louis, tant physiquement que par son caractère. Si le jeune Fronsac était plutôt grand, brun, avec des trais fins et réguliers, le commissaire au Grand-Châtelet était trapu, de taille médiocre, avec un cou de taureau surmonté d'une tête carrée envahie par une chevelure rougeâtre qui poussait comme de la mauvaise herbe.

S’il avait un physique du taureau, monsieur de Tilly en avait aussi le caractère hargneux et coriace. Il fonçait, tête baissée, devant toutes les difficultés qu'il rencontrait et n'abandonnait jamais. C’était pourtant un homme merveilleux et attachant, sans doute un des meilleurs que j’aie rencontré.

Durant de cette nouvelle enquête, Louis Fronsac découvrit avec effroi une nouvelle machination conduite par le marquis de Fontrailles visant à assassiner le roi en l’empoisonnant[2]. Mais cette fois, il fut mis en échec et Louis XIII passa dans d’effroyables souffrances, ce que beaucoup de gens ignorent encore !

Après le décès du roi, et alors que le jeune Louis XIV n’avait que cinq ans, ceux que madame Cornuel – une amie de la marquise de Rambouillet – surnommait les Importants, avaient tenté de prendre le pouvoir. Leurs chefs de file étaient le duc de Beaufort, qui aspirait à devenir l’amant de la reine, et surtout la venimeuse duchesse de Chevreuse.

Louis Fronsac, protégé par le duc d’Enghien, s’était opposé à eux et avait réussi à déjouer leur infâme tentative visant à éliminer son protecteur, le cardinal Giulio Mazarini, qui commençait à se faire appeler Jules Mazarin.

C’est lors de cette périlleuse aventure qu’il rencontra pour la première fois le père Niceron, un moine minime qui devait lui sauver la vie et rester son ami, mais que Dieu, hélas, rappela à lui bien trop tôt.

C’est aussi à cette occasion que mon beau-père renforça ses liens d’amitié avec le banquier Gédéon Tallemant des Réaux qui habitait rue des Petits-Champs[3] ainsi qu’avec le poète Vincent Voiture que je n’ai pas connu car il est mort trop jeune.

Durant ces investigations, Louis Fronsac démasqua un épouvantable assassin, le Tasteur, qui égorgeait des femmes dans Paris. Il fit aussi, et il le regretta longtemps, condamner à mort la jolie, mais trop perverse, Anne Daquin, la maîtresse du marquis de Fontrailles.



[1] Le mystère de la Chambre bleue, publié par le Masque Labyrinthe éditeur.

[2] La conjuration des Importants, le Masque Labyrinthe.

[3] Pas facile de s’y retrouver entre la rue des Petits-Champs et la rue Neuve-des-Petits-Champs. L’actuelle rue  des Petits-Champs est en gros l’ancienne rue Neuve-des-Petits-Champs où habitait Particelli d’Emery. Par contre la rue des Petits-Champs où se trouvait la banque Tallemant est devenue la rue Croix-des-Petits-Champs ! (Note de Jean d’Aillon)

.......chapitre 2

fronsac@laposte.net

© J.L. Roos, 2006 ISBN: 2-911850-90-4

Ce document est une oeuvre de fiction même si de nombreux personnages historiques y apparaissent. Il ne s’agit en aucun cas d’un travail d’historien et ne saurait être utilisé ou cité pour une recherche académique.